La France condamnée par l'ONU pour violation de la liberté de circulation

La France condamnée par l'ONU pour violation de la liberté de circulation !

Le 28 mars 2014, le Comité des droits de l'homme de l'Organisation des Nations Unies (ONU) a condamné la France, constatant qu'elle viole l'article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).

En effet, cette instance internationale composée d'experts juridiques, réunie à Genève lors de sa 110ème session, a considéré que le pays des Droits de l'Homme ne respecte pas le principe de liberté de circulation en imposant aux "Gens du voyage" un visa à effectuer auprès des forces de l'ordre sous peine de contravention.

Cette décision a été prise suite à une requête introduite en 2010 auprès de l'ONU par un "voyageur" français, M. Claude Ory, accompagné dans cette démarche par le pôle juridique de la Fnasat-Gens du voyage.

Les faits


Les faits remontent au 29 février 2004, alors que M. Ory conduit son camion pour aller travailler, il est contrôlé vers 11 heures du matin par des motards de la gendarmerie dans une commune sarthoise. On lui reproche deux infractions : un défaut d'assurance pour son véhicule et un défaut de visa pour son carnet de circulation.

En effet, vivant en caravane de manière permanente, il est soumis au statut français des "Gens du voyage", qui lui impose d'avoir un titre de circulation, comme le prévoit la loi n°69-3 du 3 janvier 1969 : il est donc titulaire d'un carnet soumis à visa trimestriel auprès des forces de l'ordre. Le sien a été visé pour la dernière fois le 27 août 2003 : il a donc trois mois de retard. Quant à l'assurance, il n'avait pas apposé sa dernière attestation, mais était cependant assuré.

Finalement ce n'est que le 11 mars 2006, lors d'un nouveau contrôle, qu'il est averti des suites de ces infractions. Amené à la brigade, il est entendu pendant environ quatre heures. On lui signifie un jugement par défaut qui l'a condamné à 150 euros d'amende pour défaut de titre de circulation et à 300 euros et à la suspension d'un mois de son permis de conduire pour défaut d'assurance.

Muni de sa convocation, il contacte M. Weinhard, médiateur auprès des Gens du voyage dans le département de la Sarthe, afin de l'accompagner dans ses démarches.

La procédure judiciaire française


Il fait opposition du jugement par défaut, et est convoqué pour une audience au tribunal de police de La Flèche le 24 mai 2006. Afin d'assurer sa défense, il prend un avocat, Me Benoist, grâce à l'aide juridictionnelle. Ayant demandé un renvoi, l'affaire est finalement entendue le 27 septembre 2006.

Dans ses moyens de défense, son avocat s'appuie notamment sur la Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH), qui prévoit que "quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un État a le droit d'y circuler librement et d'y choisir sa résidence" . Le 20 décembre 2006, le tribunal rejette ses arguments, le déclare coupable et le punit d'une amende de 100 euros.

Il fait appel de cette condamnation et est convoqué le 1er mars 2007 devant la cour d'appel d'Angers. Assisté par Me Caillet, ce dernier plaide de la même manière qu'en première instance, en y ajoutant le principe de non-discrimination (art. 14 de la CEDH). Cependant, la cour confirme la culpabilité et l'assortit d'une amende de 10 euros.

M. Ory se pourvoit alors en cassation, mais faute d'être défendu, ce pourvoi est logiquement rejeté par la cour le 4 mars 2008. Les recours internes sont alors épuisés.

La procédure internationale

C'est pourquoi il fait appel le 22 décembre 2008 auprès de la Cour Européenne des droits de l'homme à Strasbourg. Le 1er septembre 2009, la cour déclare la requête irrecevable, considérant que le délai entre la décision nationale définitive (cour de cassation) et l'introduction de la requête auprès de la CEDH est trop long puisque supérieur à 6 mois.

Non découragé, le 1er avril 2010, toujours assisté par M. Weinhard devenu animateur juridique, il dépose une requête devant le comité des Droits de l'Homme de l'ONU à Genève, considérant que la France viole trois principes fondamentaux du PIDCP :

- le droit de circuler librement sur le territoire d'un Etat (art.12)
- l'égalité de droits devant la loi (art. 26),
- et enfin l'interdiction de discrimination (art.26).

Ce Pacte, élaboré en 1966 par l'ONU, rend contraignant pour les états signataires certains principes de la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH) de 1948.

D'abord jugée irrecevable, sa requête est finalement enregistrée. Ensuite, la France, par le biais de son ambassade, émet des observations sur la recevabilité et sur le fond. Des commentaires sont produits en avril 2011 par la partie adverse.

Finalement, en février 2014, la Fnasat reçoit un courriel de l'ONU l'informant que sa requête figure à l'agenda de la 110ème session du Comité des droits de l'homme. Ce dernier lui demande des précisions quant aux évolutions législatives intervenues entre-temps, conséquences de la décision du 5 octobre 2012 du Conseil Constitutionnel.

La décision

Dans sa communication n°1960/2010 (CCPR/C/110/D/1960/2010) en date du 28 mars 2014, le Comité des Droits de l'Homme observe que la France "n'a pas démontré que la nécessité de faire viser le carnet de circulation à intervalles rapprochés, ainsi que d'assortir cette obligation de contraventions pénales sont des mesures nécessaires et proportionnelles au résultat escompté." Cela constitue une restriction au principe de la liberté de circulation, donc une violation de l'article 12 du PIDCP.

Au vu de cette conclusion, "les griefs tirés de l'article 26 du Pacte" n'ont pas été examinés (égalité de droits et non-discrimination), ce que déplore dans un appendice l'expert argentin du comité.

En conséquence, il est demandé à la France :

- que la condamnation de M. Ory soit effacée de son casier judiciaire et qu'il soit indemnisé du préjudice subi,
- "la révision du cadre législatif pertinent et son application dans la pratique",
- d' "empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l'avenir",
- d'informer le Comité dans un délai de six mois des mesures prises pour remédier à ces constats,
- de rendre publique cette communication.

Enfin, cette décision "paraîtra ultérieurement [en quatre langues] dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée Générale" de l'ONU.

Conclusion


Cette condamnation de la France sur un principe des Droits de l'homme, la liberté de circulation, est en pleine contradiction avec la décision du Conseil constitutionnel de 2012, jugeant partiellement conforme à la constitution la loi n°69-3 . En effet, le Conseil avait considéré "que l'atteinte portée à la liberté d'aller de venir qui en résulte est justifiée par la nécessité de protéger l'ordre public et proportionnée à cet objectif."

En fixant un délai de six mois à la France pour rectifier cette violation du PIDCP, l'ONU va peut-être permettre l'accélération de l'étude par le parlement français de la proposition de loi déposée par le groupe socialiste, républicain et citoyen (SRC) depuis le 5 décembre 2013, qui vise justement à l'abrogation des titres de circulation.

Paris, le 14 mai 2014,

Jérôme WEINHARD
Animateur du pôle juridique

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