"Prises d'empreintes d'une famille de Gitans" 1925
En
parallèle à lexposition « Fichés
? » aux Archives nationales et à la lumière
des travaux des chercheurs réunis lors du colloque
du MRAP en février 2010, ce dossier documentaire
se donne pour objectif de mettre en perspective certains
faits dactualités comme le fichage des Minorités
Ethniques Non Sédentaires (MENS) ou les débats
autour du statut administratif spécifique des Gens
du voyage.
Pour cela, ce dossier revient sur ce long siècle,
que lon peut voir débuter en 1895 avec le premier
recensement des «nomades» visant à mieux
cerner les contours d'une population méconnue et
crainte dans le monde rural, suivie en 1897 d'une commission
extraparlementaire sur la sécurité des campagnes.
Les politiques de contrôle traverseront le siècle
avec notamment létablissement en 1912 du carnet
anthropométrique de nomade instaurant le fichage
par «bertillonnage», linterdiction de
circulation et lassignation à résidence
des porteurs dudit carnet en avril 1940 et linternement
dune partie des nomades entre octobre 1940 et lannée
1946.
Il faudra attendre 1969 pour que le carnet anthropométrique
disparaisse, mais il sera remplacé par les titres
de circulation actuels. En 2011 son abrogation est toujours
«à létude» et les avancées
vers le droit commun restent très «timides».
Enfin la première décade du XXIe siècle
s'achève par la révélation de lemploi
de la catégorie MENS par la gendarmerie ainsi que
lutilisation des empreintes digitales et un retour
à la photographie pour ficher les migrants bénéficiant
dune «aide au retour», dont notamment
et en grande partie les Roms dEurope Centrale et Orientale
traversant les frontières françaises.
[dossier
réalisé en septembre 2011]
Pour
aller plus loin :
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Recensement des Bohémiens. Le
petit Journal Illustré n°233 du 5 mai 1895
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Histoire
des Bohémiens du XIXème siècle à
la création du carnet de nomades en 1912
Si
durant le XIXème siècle un certain romantisme
entourait les populations itinérantes, et se retrouvait
par exemple dans la littérature ou la peinture, le
besoin de contrôle par les gouvernants nest
pas une invention du XXème siècle : dès
1863 est créé le carnet de saltimbanques musiciens,
chanteurs ambulants
Celui-ci associe les fonctions
du passeport intérieur (obligatoire pour tous les
citoyens jusquen 1890) et lautorisation dexercice
de profession ambulante.
Il restera en vigueur jusquen 1912, prolongeant par
là lutilisation du passeport intérieur
pour les seules populations itinérantes.
La fin du siècle restera marquée par un très
fort rejet des «Bohémiens» et «Romanichels»,
qui se traduira par un recensement en 1895 de tous les «nomades
et bohémiens».
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Un rapport,
en 1908, conclura à la présence sur le territoire
national de « 25.000 nomades en bande voyageant avec roulotte
».
Ceux-ci ne pouvant être arrêtés pour délit
de vagabondage, ayant souvent à leur disposition une (faible)
somme dargent et déclarant exercer certaines professions.
La fin du XIXème siècle voit également se développer
les techniques de fichage mises au point par Alphonse Bertillon
permettant lidentification des criminels et leur fichage. |
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Photo
anthropométrique . Archives dIndre et Loire
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Des
méthodes de contrôle similaires à celles
employées contre les criminels : la loi de 1912
Ce
processus de rejet sera concrétisé par la
loi du 16 juillet 1912 instituant les carnets didentité
forain et anthropométrique nomade. Ils sont obligatoires
pour les individus exerçant la profession de forain
pour le premier, et à tous ceux ne rentrant ni dans
les critères de forains, ni dans ceux de marchand
ambulant pour le second.
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On note
que cest le nomadisme, c'est-à-dire labsence
de domicile ou de résidence fixe, qui est retenu comme critère
et non une quelconque appartenance ethnique, conformément
aux principes de la République.
Le carnet didentité de nomade se base sur les méthodes
didentification criminelle («bertillonnage»
et relevés dempreintes digitales). Il y est adjoint
deux photographies des individus, une de face et une de profil.
La partie faisant office de passeport doit être visée
par la mairie à chaque arrivée et départ sur
une nouvelle commune.
Les carnets didentité sont obligatoires dès
lâge de treize ans, mais il est également instauré
un carnet collectif, que doit porter le «chef de famille»
ou de groupe. Toutes les personnes circulant en sa compagnie doivent
figurer sur le carnet collectif, avec mention des rapports de parenté
ou de droit les unissant.
A chaque délivrance de carnet étaient créées
deux notices, dont une était transmise au ministère
de lintérieur, qui centralisait ainsi toutes ces informations.
Certains chercheurs estiment que le carnet anthropométrique
de nomade a eu pour conséquence la sédentarisation
de nombreuses familles, tant il rendait la vie itinérante
impossible.
Après
la guerre, des voix vont peu à peu sélever
pour dénoncer la condition des nomades toujours soumis
au carnet anthropométrique. En 1948 est créée
une Commission interministérielle détude sous
la présidence dun conseiller dEtat, Pierre
Join-Lambert. Vingt ans plus tard, la loi de 1912 est abrogée
et remplacée par celle du 3 janvier 1969.
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Labrogation
du carnet anthropométrique par la loi de 1969: la
poursuite du contrôle via les nouveaux titres de circulation
La
loi du 3 janvier 1969 crée quatre nouveaux titres
de circulation (livrets spéciaux, livret et carnet).
Ils sont obligatoires à partir de seize ans pour
toute personne, qui depuis plus de six mois se déclare
être sans domicile ni résidence fixe, circulant
ou exerçant une activité ambulante. Une personne
est considérée comme «circulant»
si elle loge de façon permanente dans un véhicule,
une remorque ou tout autre abri mobile.
Cette loi crée également la notion de commune
de rattachement, qui fait office de domicile. Dès
lors on parle de «Gens du voyage», terme générique
qui va remplacer ceux de «nomades» et «forains».
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Les
titres doivent être présentés à toute
réquisition des forces de lordre, sous peine damende,
voire demprisonnement.
Certains dentre eux doivent également être
visés par les forces de lordre tous les trois mois.
Des
voix toujours plus nombreuses sélèvent contre
la loi de 1969 et notamment contre les titres de circulation.
Une
proposition de loi visant labrogation de la loi de 1969
a été rejetée en janvier 2011. Le groupe
de la majorité a prétexté lattente
du rapport Herisson, qui devait paraître quelques mois plus
tard. Il ne paraîtra finalement quen juillet, et propose
le remplacement des titres de circulation par des «récépissés»,
ne proposant aux Gens du voyage que de «[sapprocher]
du droit commun».
POUR
EN SAVOIR PLUS : www.voyageurs-citoyens.fr
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Le
fichier SDRF, la catégorie MENS et la base de données
« non-déclarée » de lOCLDI
Tout
comme pour les anciens carnets, les détenteurs de
titres de circulation sont recensés dans le Fichier
des personnes Sans Domicile ni Résidence Fixe (FSDRF).
Géré par la Gendarmerie Nationale, 200.000
personnes y sont répertoriées.
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Il
est consulté en moyenne quatre cent fois par jour par différents
services.
Voir le
Rapport
sur létat des fichiers de police et gendarmerie en
France, «
Mieux protéger les fichiers pour protéger les libertés
», 2008 (cf. pp. 76-79 pour le chapitre sur le FSDRF).
A la fin de lété 2010, une polémique
a éclaté quant à lexistence dun
fichier MENS (Minorités Ethniques Non Sédentaires)
non déclaré à la CNIL (Commission Nationale
de l'Informatique et des Libertés) et comportant des mentions
ethniques. Cette notion de Minorité Ethnique Non Sédentaire
concerne à la fois les « Gens du voyage » et
les Roms migrants.
MENS,
chronologie dune enquête
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Le
fichier OSCAR : filiation entre lanthropométrie
du début de siècle et la biométrie
contemporaine ?
Le
fichier OSCAR (Outil Statistique et de Contrôle
des Aides au Retour) a été mis en place
par décret le 26 octobre 2009. Ce traitement automatisé
de données à caractère personnel
concerne les étrangers bénéficiaires
de laide au retour humanitaire (ARH). Cest
par crainte de versements multiples de lARH (pécule
dun montant de trois cent euros par adulte et cent
euros par enfant) octroyés à des citoyens
en droit daller et venir sur le territoire de lUnion
Européenne, que ce processus a été
créé.
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En
pratique, ce sont majoritairement les Roms, quils soient
ressortissants bulgares ou roumains, qui sont visés par
cette procédure. La phase biométrique du fichier
mise en uvre en 2010 a donné lieu à de nombreuse
réactions.
Les associations soulignent le caractère disproportionné
et arbitraire de la collecte dans OSCAR de données biométriques
: photographie numérisée du visage et empreintes
des 10 doigts. Tant au regard de la durée excessive de
conservation des données (cinq ans) que de l'âge
potentiel des individus fichés (dès 12 ans). «
Ce recours précipité à la biométrie
s'inscrit dans l'escalade xénophobe à l'encontre
des Roms qu'il est urgent de stopper », estiment-elles.
Dans le cadre de la politique actuelle les Roms pourraient être
lobjet dune instrumentalisation au service dun
affichage politique, où les données concernant
limmigration jouent un rôle central.
Aujourdhui les Roms comme hier les Gens du voyage, seraient-ils
une population « test » dun "marketing"
politique sécuritaire ?
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